L’étude des savoirs et de leur transmission est au centre de cette journée d’étude. En particulier, il s’agit de questionner les savoirs dans leur dimension matérielle et immatérielle, dans leur mise en visibilité et dans leur accessibilité tant le savoir peut être objet de perception, discussion, interprétation et appropriation par les usagers fréquentant les espaces apprenants tels que le musée, l’atelier de création, de fabrication, le cabinet de curiosité, le laboratoire, le centre de documentation et d’information, le learning center,le fablab, etc.
Loin d’être un objet inerte à transmettre dans un espace clos, le savoir prend vie par le dispositif qui le rend visible et l’activité qu’il suscite.
Cette conception du savoir est-elle partagée ?
Habituellement présenté dans son apprêt académique duquel il détient son autorité, le savoir est montré le plus souvent dans son contenu rationnel et abstrait indépendamment des conditions de sa genèse. Son appropriation, jalonnée d’obstacles épistémologiques (Bachelard, 1967[1]), implique alors un temps d’étude spécifique et des efforts soutenus. Dans cette conception « aride », le processus de transmission verticale s’organise autour d’opérations (décontextualisation, syncrétisation et dépersonnalisation du savoir) qui créent une forte distance avec les processus intersubjectifs des apprenants. Il en résulte une désaffection de ces derniers pour la question des savoirs (Blais, Gauchet, Ottavi, 2008[2]).
Les savoirs peuvent être appréhendés et conçus autrement. Par exemple, le psychologue culturel Jérôme Bruner (1996)[3]a montré la pertinence de la voie narrative comme modalité d’accès aux savoirs et à la culture. D’autres auteurs tels les anthropologues Descola (2005)[4]et Certeau (1981)[5]ont mis l’accent sur la dimension essentielle des usages dans la rencontre avec les savoirs.
Alors, ne s’agirait-il pas de prendre en compte la matérialité des savoirs, leur dimension expérientielle mise en scène dans des espaces considérés comme apprenants dès lors qu’ils permettent un accès spécifique aux savoirs, orchestrant des interactions et des dispositifs inédits entre les usagers et les mondes savants ?
La transmission verticale académique, centrée sur les contenus et séparant les apprenants de la vie sociale est ainsi mise en regard d’une approche horizontale valorisant les savoirs comme des « objets de pratiques, à la fois mentales, matérielles et sociales »[6]. Comme le souligne Jacob (2009), « la production, la validation, la transmission des savoirs ne sont pas des étapes abstraites, mais des opérations qui impliquent des acteurs, des lieux, des instruments, des supports d’inscriptions, des pratiques spécifiques ». La transmission est ainsi conceptualisée comme une institution (Debray, 1997)[7]opérant dans des lieux ouverts où les interactions socioculturelles sont favorisées et où s’instaurent de nouvelles formes d’accès aux savoirs et de nouvelles manières de mettre à l’étude les acteurs.
La matérialité des savoirs, leur accessibilité et leur manipulation constituent des enjeux pour les passeurs que sont les professionnels de l’éducation, de la formation, de la médiation culturelle, de la santé… En effet, pour leur public varié, apprendre constitue une activité à redécouvrir se déployant sur le temps long. Cela suppose tout à la fois, des dispositifs de mise en scène des savoirs qui marquent durablement les sujets, des usages ou des modes d’appropriation singuliers.
La journée d’étude, qui se déroulera au Conservatoire National des Arts et Métiers le 20 juin 2019, sera consacrée à ces enjeux de transmission des savoirs pour des sujets dont le rapport aux savoirs peut être transformé. Les contributions de spécialistes de l’histoire, de l’art, de la médiation culturelle, des nouvelles technologies et de la professionnalisation des acteurs visent à mieux comprendre à partir d’un questionnement multiple ces mutations à l’œuvre dans le champ socioculturel, de sorte que la transmission des savoirs apparaisse dans toute son amplitude.
De la mise en scène du savoir aux espaces apprenants
Si, dans les contextes semi ouverts de la salle de classe, de l’espace de formation, les savoirs sont transmis dans une interaction proche avec les sujets apprenants, qu’en est-il dans les espaces culturels investis par le grand public ou encore dans les espaces collaboratifs permis par les technologies numériques ? En contrepoint de la forme scolaire, comment ces dispositifs institutionnels, matériels et ces mises en scène des savoirs intègrent-ils la place des apprenants, des amateurs éclairés, des usagers curieux ? Comment les savoirs sont-ils exposés, mis en forme et valorisés dans des contextes variés de l’apprentissage ? Ces lieux de savoir (Jacob, 2009) que sont les espaces apprenants ne reconfigurent-ils pas le rapport aux savoirs ? Leurs mises en scène particulières n’en font-elles pas des vecteurs de pratiques d’enquête, suscitant la curiosité et l’activité investigatrice de l’usager ?
Les savoirs invisibles des professionnels du savoir
Dans ces contextes ouverts, le travail de passeur n’est-il pas de favoriser l’accès aux connaissances, de rendre actif les apprenants, usagers, amateurs éclairés, curieux ?Comment s’effectue la transmission des savoirs par les "professionnels du savoir" que sont les enseignants, les formateurs, les médiateurs culturels, les maîtres d’apprentissage ou encore les patients experts qui influencent de manière plus ou moins forte la transmission des savoirs ? En effet, le savoir n’est pas seulement une forme énonciative détachée de la personne qui le présente, le met en discussion et organise les conditions de son appropriation. Il est mis en valeur par celui qui organise les conditions de sa réception-appropriation. Dès lors quelles compétences, quelles postures, quels gestes professionnels sont-ils mobilisés par les passeurs ?