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Soutenance de thèse de Nicolas El Haik-Wagner

15 novembre 2024
9h

Cnam, Amphi Fabry-Perot


Soutenance de thèse pour l'obtention d'un doctorat en Sciences humaines et humanités nouvelles - spécialité Sociologie
 

Ouvrir le bloc pour continuer à ouvrir des corps. Sociologie des recompositions de l’activité opératoire

sous la direction de Madame Cynthia FLEURY-PERKINS & Monsieur Eric VIBERT

Jury

  • M. Emmanuel DIDIER, Directeur de recherche, CNRS, ENS-PSL : Rapporteur
  • M. Florent SCHEPENS, Professeure des Universités, Université de Franche Comté : Rapporteur
  • Mme Isabelle BERREBI-HOFFMANN, Directrice de recherche, CNRS, Cnam : Examinatrice
  • M. Gérard DUBEY, Professeur des Universités, Institut Mines-Télécom Business School : Examinateur
  • Mme Marie LE CLAINCHE-PIEL, Chargée de recherche, CNRS, Cermes3 : Examinatrice

Résumé de thèse

Si elle se distingue par des prouesses toujours renouvelées, l’activité opératoire dans les spécialités chirurgicales dites lourdes des centres hospitaliers universitaires (CHU) connaît en parallèle une série de turbulences et de transformations : rationalisation de l’activité et virage ambulatoire, pénurie d’infirmières spécialisées et d’anesthésistes, avènement de nouvelles alternatives thérapeutiques à la chirurgie, sentiment de judiciarisation croissante de la relation thérapeutique et pression assurantielle à la réduction de la variabilité des techniques chirurgicales dans un contexte de sinistralité élevée. Cette thèse envisage les effets de ces pressions régulatrices sur les territoires professionnels. Alors que le bloc opératoire est généralement considéré comme une communauté fermée, elle soutient que ces recompositions conduisent à son ouverture croissante vers l’extérieur. Cette ouverture est autant contrainte que recherchée : ces pressions régulatrices impliquent que les professionnels rendent des comptes à des tiers toujours plus nombreux (patients, gestionnaires, assureur, etc.), tandis que des praticiens universitaires s’ouvrent à de nouveaux acteurs privés pour réformer le groupe professionnel. À travers une immersion ethnographique dans les blocs opératoires de 5 CHU franciliens et du Grand Est, l’enquête s’est attachée à suivre de façon approfondie l’ensemble de la chaîne opératoire, des consultations de chirurgie et d’anesthésie aux réunions de service et interventions au bloc, tout en investiguant des projets de formation et de recherche. Elle repose également sur une soixante d’entretiens avec les professionnels (chirurgiens, anesthésistes, cadres de santé, responsables de la programmation et du pilotage). La première partie documente les négociations entre le patient et les professionnels qu’implique, tout au long de sa trajectoire, l’activité de réparation du « matériau humain ». Dans un contexte d’injonctions à l’humanisation et à l’efficience du parcours de soin, les professionnels « détotalisent » par petites touches le passage du patient au bloc opératoire, mais conservent une emprise importante sur les corps et les conduites. Alors que l’activité est marquée par une gestionnarisation accrue, la seconde partie analyse la reconnaissance professionnelle que négocient des segments paramédicaux, en salle d’intervention et dans le travail d’articulation du processus opératoire. S’ils disposent de nouveaux champs d’intervention et si les compétences de ces professionnelles sont reconnues de façon croissante, leur affirmation reste partielle au regard des fortes régulations autonomes médico-chirurgicales et des difficultés systémiques de l’hôpital public. La troisième partie suggère enfin l’existence d’une « nébuleuse réformatrice » qui s’attache, par ses engagements épistémiques et face aux promesses suscitées par l’arrivée de l’intelligence artificielle, à sécuriser le geste, le standardiser, et à promouvoir sa mise en transparence.

Mots-clés : Bloc opératoire ; chirurgie ; groupes professionnels ; pressions régulatrices ; interactions

Résumé en anglais

Surgical activity often stands out for its constantly renewed prowess, especially in the so-called heavy surgical specialities of university hospitals. Yet it is experiencing a series of turbulences and transformations: rationalisation of activity and a shift to ambulatory care, a shortage of specialist nurses and anaesthetists, the advent of new therapeutic alternatives to surgery, a growing sense of the judicialisation of the therapeutic relationship and pressures from insurers to reduce the variability of surgical techniques in a context of high claims rates. This thesis examines the effects of these regulatory pressures on professional territories. While the operating theatre is generally seen as a closed community, it argues that these changes mean that it is becoming increasingly open to the outside world. This openness is as much constrained as it is sought: these regulatory pressures mean that professionals are accountable to an ever-increasing number of third parties (patients, hospital administrators, insurers, etc.), while academic practitioners are opening up to new private players in order to reform the professional group. The investigation is based on ethnographic immersion in the operating theatres of 5 university hospitals in the Paris region and the Grand Est region. The study aimed at following the operating chain in depth, from surgical and anaesthetic consultations to service meetings and operations in the operating theatre, while investigating surgical training and research projects. It also relies on sixty interviews with professionals (surgeons, anaesthetists, nurse administrators, surgery scheduling coordinators). The first part documents the negotiations between the patient and the professionals involved, throughout the patient's trajectory, in the activity of repairing the ‘human material’. Professionals are faced with injunctions to both humanise and improve the efficiency of the care pathway. I suggest that they ‘detotalise’ through small gestures the patient's passage through the operating theatre, but retain a significant hold over bodies and behaviours. In a context marked by a reinforcement of the managerial logic in the operating theatre, the second part analyses how paramedical segments negotiate professionnal recognition both in the operating room and in the articulation work of the surgical process. Although they have new fields of intervention and their skills are increasingly recognised, their affirmation remains partial given the strong autonomous medical and surgical regulations and the systemic difficulties of public hospitals. Finally, the third part suggests the existence of a ‘reform nebula’. Through its epistemic commitments and in the face of the promises raised by the arrival of artificial intelligence, it works to make the procedure safer, increasingly standardized and to promote its transparency.

Keywords: Operating room; surgery; professional groups; regulatory pressures; interactions