Appel à articles
1 février 20241 juin 2024
- Ile-de-France
Phronesis
Multimodalité dans la communication pour l’agir professionnel :
repérage et analyse
Appel à articles
Numéro thématique coordonné par :
Muriel Grosbois, Laboratoire Formation et apprentissage (FoAP), CNAM, Paris, France
Naouel Zoghlami, Laboratoire Formation et apprentissage (FoAP), CNAM, Paris, France
Avec la collaboration de :
Laurent Veillard, EDUTER, AGROSUP, Dijon, France et Jean-Marie Barbier, Laboratoire Formation et apprentissage (FoAP), CNAM, Paris, France
Argumentaire
La problématique des liens entre langage et professionnalisation étudiée sous l’angle de la multimodalité dans la communication pour l’agir professionnel, est un créneau encore insuffisamment exploré au niveau international. Si de nombreuses recherches ont déjà permis de caractériser les pratiques langagières dans une diversité de situations de travail (Borzeix et Fraenkel, 2001 ; Boutet, 2001 ; Mondada, 2006 ; Filliettaz et Trébert, 2015 ; Ticca et Traverso, 2017 ; Lambert et Veillard, 2019), des chercheurs du FoAP ainsi que de l’Université d’Arizona se sont emparés des questionnements qui subsistent concernant le développement de compétences communicationnelles à caractère multimodal en lien avec divers types de pratiques et de situations professionnelles, lors d’une journée d’étude internationale qui s’est tenue au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) le 10 novembre 2023.
Le concept de professionnalisation, omniprésent dans les discours et les pratiques (Champy-Remoussenard, 2008 ; Maubant et Piot, 2011), exploré dans divers champs disciplinaires, est défini par Wittorski (2001) comme « un acte par lequel l’individu apprend, se forme, construit des compétences, cherche la reconnaissance, développe son expertise ». Cet acte se réalise via le langage. En effet, phénomènes langagiers et pratiques professionnelles sont intimement liés, le langage servant plusieurs fonctions comme le souligne Filliettaz : « Sur le registre praxéologique, le recours à des ressources langagières peut constituer un instrument de l’accomplissement de l’action et de la coordination au travail. […]. Sur le registre socio-relationnel, l’usage du langage contribue aux processus de socialisation professionnelle. […]. Enfin, sur le registre épistémique, le recours au langage participe à la mise en circulation des savoirs et à leur transmission au sein des collectifs de travail ». (2022a : 267).
Ce processus de professionnalisation sous-tendu par le langage pose la question des conditions de la professionnalisation ainsi que de la formation à la professionnalisation. Dans cette dernière, le langage joue un rôle clé à la fois en tant qu’enjeu de formation (compétences interactionnelles en situation de travail, pratiques et compétences attendues en littératie professionnelle dans un domaine métier, etc.) et en tant que moyen de formation (compétences nécessaires à l’usage de certains supports pédagogiques ; multimodalité des interactions formateur/apprenants et des gestes professionnels des formateurs, etc.). À cet égard, nous rejoignons Filliettaz (2022b) qui précise que dans la sphère académique, la langue constitue un objet de professionnalisation dans la mesure où les futurs professionnels doivent apprendre à maîtriser les ressources sémiotiques utilisées par les membres des communautés professionnelles qu’ils visent à intégrer. Cela implique que, sur le lieu de travail comme dans d’autres contextes sociétaux, le processus de professionnalisation englobe nécessairement une communication multimodale avec sa dimension verbale et non-verbale.
Les processus de professionnalisation sont d’autant plus complexes qu’ils se produisent dans un monde contemporain en perpétuelle évolution, exacerbée par l’urgence écologique et sociale, monde qui connaît d’importants changements sociétaux, y compris avec le développement de la formation tout au long de la vie, une montée en puissance du rôle du numérique, un rôle accru des compétences dites transversales pour les professionnels, en particulier la communication. La communication entendue ici comme activité sociale à intention et à effet de construction de sens entre sujets communicants (Barbier, 2017), dans laquelle activités et contexte se conditionnent réciproquement, est centrale à l’agir professionnel.
Si l’on considère que les capacités langagières sont essentielles au monde du travail et peut-être plus encore dans les situations de formation, il importe aussi de considérer que la communication n’est en rien réductible aux productions verbales, qu’elles soient orales ou écrites (Bezemer & Jewitt, 2018 ; Kress, 2019). La communication est de nature multimodale et plurisémiotique : une variété de modes sémiotiques (discours oral, pratiques de littératie complexes, postures énonciatives, gestes, regards, ton de la voix, inflexions, mobilisation d’objets ou d’outils, etc.), de langues, de types de pratiques ou de registres langagiers, peut être mobilisés pour communiquer. Le sens est construit en contexte par les interlocuteurs à partir de leurs propres représentations (partagées ou non) et de leur positionnement réciproque d’acteurs en relation.
La multimodalité peut se définir comme un usage en situation d’une combinaison de modes sémiotiques permettant aux interlocuteurs de créer du sens. Dans cet esprit, il est convenu d’appeler mode (ou ressource) la nature des informations (mode visuel, mode sonore, mode gestuel, mode linguistique, etc.). Le terme modalité sert lui à désigner l’usage concret et particulier d’un mode de communication (par exemple modalité écrite, vocale, picturale). Le terme medium correspond au moyen technologique de transmission de l’information, le numérique par exemple.
Si les sociétés contemporaines reconnaissent désormais l’importance de la communication multimodale, l’activité́ professionnelle continue toutefois d’être connue essentiellement au travers d’une formalisation dans la langue. Ce paradoxe transparaît aussi dans la conception de la plupart des formations professionnelles. Parce que la multimodalité reste ainsi un impensé de la communication pour l’agir professionnel, ce numéro thématique de la revue Phronesis entend combler cette lacune en interrogeant les relations inter-sémiotiques des activités de communication, les constructions de sens qui en résultent, ainsi que les jeux d’influence et de pouvoir qui leur sont liés, en lien avec l’agir professionnel.
1 février 20241 juin 2024
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