Soutenance de thèse de Marine Baconnet
15 décembre 202514h
292 Cnam St Martin, 75003 Paris, Salle 17.1.08
Soutenance de thèse pour l'obtention d'un doctorat en Sciences humaines et humanités nouvelles - spécialité Sciences de l'information et de la communication
Transformer l'industrie textile : l'invisibilisation du travail ouvrier à l'épreuve de la relocalisation
sous la direction de Madame Cynthia FLEURY-PERKINS & Monsieur Cédric DALMASSO
Jury
- Mme Cynthia FLEURY-PERKINS, Professeure, FoAP (EA 7529), Cnam : Directrice
- M. Cédric DALMASSO, Professeur, CGS-i3 (UMR CNRS 9217), Mines Paris-PSL : Co-directeur
- M. Jean Luc MORICEAU, Professeur, LITEM (EA 7363), Institut Mines-Télécom Business School : Rapporteur
- M. Franck AGGERI, Professeur, Mines Paris-PSL : Rapporteur
- Mme Colette DEPEYRE, Professeure, DRM (UMR CNRS 7088), Université Paris Dauphine - PSL : Examinatrice
- Mme Corinne GAUDART, LISE, UMR CNRS 3320 : Examinatrice
Résumé de thèse
La thèse explore la manière dont la relocalisation pourrait contribuer à reconfigurer le modèle de production hérité de la mondialisation. L’historique de la segmentation internationale des activités de la filière textile occidentale depuis les années 1970, met en évidence une mise à distance progressive des activités de production. Tandis que les activités « immatérielles » de création, de marketing et de stratégie ont été valorisées, les activités « matérielles » de confection, intensives en main-d’œuvre, ont été reléguées à la périphérie du système productif (Ammar et al., 2009). Cette hiérarchisation a fragilisé la capacité des entreprises européennes, et notamment françaises, à produire en qualité-quantité industrielle sur leur sol, tout en réduisant la capacité de la filière à répondre aux nouveaux enjeux socio environnementaux.
Afin de dépasser la dichotomie entre activités « immatérielles » et « matérielles », le cadre théorique mobilise la distinction entre les actions d’« exploration » et d’« exploitation ». Ces notions issues des travaux de March (1991, 1996) nous permettent de comprendre que les activités de production donc d’ « exploitation », loin d’être inférieures en valeur, sont au contraire un facteur complémentaire des activités d’ « exploration » ; voire, une condition nécessaire à la génération de nouvelles connaissances, de technologies et de procédés encore inconnus. En se privant des espaces dans lesquels s’élaborent les connaissances issues du travail concret, les compétences techniques se seraient en outre érodées, affaiblissant la capacité des organisations à les reconnaître, les maintenir et les transmettre, selon la définition de l’ « oubli organisationnel » (Garcias et al., 2024). Ce constat trouve une résonance particulière avec la théorie du Care (Tronto, 2009), qui montre que les activités jugées subalternes – parce qu’elles relèvent de l’exécution, de l’entretien ou du soutien – sont précisément celles dont la contribution est négligée dans la définition des priorités organisationnelles. En reliant la perspective du Care – issue de thèses féministes – avec celle de l’ « oubli organisationnel » – ancrée dans les sciences de gestion –, il devient selon nous possible de comprendre comment une attention insuffisante portée aux contributions techniques a fragilisé la filière textile, cette fragilité étant révélée par des situations de sous-performance ou des défaillances coûteuses. Apparaît alors un impensé stratégique majeur, celui de l’invisibilisation du travail ouvrier.
La problématisation s’attache à comprendre comment les démarches de relocalisation cherchent à corriger les effets de cette invisibilisation en reconstituant un socle industriel local. Les initiatives récentes dans le secteur textile montrent cependant que le modèle de production « made in France » n’est pas encore stabilisé et peut révéler des tensions entre ambition stratégique et mise en œuvre opérationnelle. La recherche a pour objectif d'identifier les freins à la relocalisation effective des compétences de confection, une problématique qui a été travaillée et affinée grâce à une immersion de longue durée au sein d’une multinationale textile. L’observation située (2020-2025) et l’accompagnement d’un groupe rapatriant partiellement sa production en France, permet d’établir que malgré des investissements importants en formation, la pleine réappropriation des savoir-faire techniques est un processus complexe. Le site concerné doit en particulier composer avec un renouvellement fréquent des équipes, des performances en deçà des objectifs initiaux et une stabilisation progressive mais fragile des savoir-faire. L’étude de ces situations à plusieurs niveaux de l’organisation, permet d’identifier quatre freins à la dynamique d’apprentissage collectif : la coexistence de référentiels multiples (pédagogiques, professionnels, produits) ; l’écart entre les attentes en matière de performance et le temps nécessaire à la recomposition d’un savoir-faire complexe ; des difficultés de coordination entre les activités de conception, de formation et de production ; et enfin, une reconnaissance encore limitée de l’expertise technique propre aux métiers de la confection.
Le pari de notre travail de recherche-intervention est de considérer que la réindustrialisation ne peut réussir que si les savoir-faire techniques sont identifiés, intégrés dans un système d’apprentissage explicite et valorisés. C’est dans cette perspective qu’a été conçu notre dispositif : la matrice des compétences de production. Élaborée avec les opérateurs et les encadrants, la matrice vise à rendre visibles les savoir-faire technique de confection en suivant leur progression et en ajustant les parcours de formation aux besoins réels des lignes de production. En articulant apprentissage et performance au sein de l’atelier, ce dispositif favorise la coordination intermétiers et la stabilisation des apprentissages dans le quotidien du travail. A la lumière des travaux sur l’« apprentissage d’exploitation » (Garcias et al., 2015), la discussion invite à élargir l'usage de la matrice des compétences, d’un outil d’organisation de la production à un espace de dialogue favorisant le pilotage collectif des savoir-faire techniques, et donc, leur revalorisation.
Mots-clés : Relocalisation, Réindustrialisation, Innovation organisationnelle, Formation, Apprentissage collectif, Valorisation des compétences techniques
15 décembre 202514h
292 Cnam St Martin, 75003 Paris, Salle 17.1.08